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Blog #4 – Mon coeur bat pour l’Alianza Lima !

  • Photo du rédacteur: Gabriel LAUDE
    Gabriel LAUDE
  • 31 déc. 2022
  • 15 min de lecture

Dernière mise à jour : 4 janv. 2023


Dans cette lettre, je raconte à mon ami Simon mon expérience au stade de Matute, où j’ai vu jouer pour la première fois mon club de cœur, l’Alianza Lima. Je lui présente d’abord Michael et Juan Luis, mes deux "anges gardiens" qui m’ont introduit dans cet univers que je désirais tant connaître. Puis, je lui décris l’ambiance qui enveloppe le stade les jours de match et l’épopée fantastique de l’Alianza Lima pour s’adjuger le titre de champion national cette année. Enfin, je reviens brièvement en annexe sur l’histoire du club pour mieux comprendre tout ce que charrie l’aliancismo, cette passion sans mesure pour l’Alianza Lima.


Lima, dimanche 19 novembre 2022


Cher Simon,


Il y a peu, j’ai réalisé l’un de mes plus grands désirs : aller au stade de Matute (prononcer « Matouté ») pour voir jouer l’Alianza Lima, mon deuxième club de cœur avec celui de Liverpool en Angleterre. Et même plus que ça, j’ai eu l’opportunité d’y retourner plusieurs fois et, cerise sur le gâteau, de voir les « blanquiazules » (« blancs et bleus », référence aux couleurs fétiches de l’équipe) [1] être sacrés champions nationaux ! Tout ce que je vais te raconter ici, c’est mon expérience intime de Matute. Je sais que tu n’es pas un grand fan de foot, mais j’aimerais justement, par ce récit, te transmettre toute la beauté de ce sport qui se trouve non seulement sur le terrain, mais avant tout en dehors.


Ma rencontre avec mes deux anges gardiens


Si j’ai pu avoir la chance de vivre cette expérience unique, c’est grâce à deux personnes que je porte dans mon cœur : Michael et Juan Luis, deux frères unis par leur passion pour l’Alianza Lima. J’ai connu Juan Luis au mariage de mon cousin Pedro en août dernier. Au fil de notre discussion, il m’apprit qu’il était fan de l’Alianza Lima et qu’il allait au stade depuis toujours. Voyant mon enthousiasme à l’idée de connaître l’expérience de Matute, il me proposa sans hésiter de m’y emmener et de me faire découvrir la culture « aliancista ». Chose promise, chose due. Le samedi 10 septembre, rendez-vous fut pris pour aller ensemble avec Juan Luis, Daniela, sa petite amie, et Michael, le grand frère de Juan Luis, voir l’Alianza affronter l’AD Cantolao à Matute. Le courant est passé immédiatement avec Michael. Ce qui m’a marqué chez lui, c’est sa curiosité pour ma double culture française et péruvienne. Presque aussitôt, il se mit à chanter dans un français approximatif le refrain d’« Alors on danse » de Stromaé, ce qui me fit beaucoup rire. Il s’étonna quand je lui appris que cette musique était passée de mode depuis un bon moment en France. Rapidement, il m’affubla du surnom « Lapadula » de manière affective, en référence au joueur de foot italo-péruvien jouant pour la Sélection Péruvienne et très apprécié par les supporters ici. Michael et Juan Luis forme un sacré duo. Ils sont très différents physiquement, mais ils se ressemblent énormément dans leur manière d’être simple et chaleureuse, et leur côté bon vivant. Par ailleurs, ils ont également en commun leur passion pour la diablada puñena – une danse folklorique de la région de Puno - qu’ils pratiquent ensemble depuis plusieurs années dans une troupe de danseurs.


S’il y a bien quelque chose qui m’a marqué de cette première fois à Matute, ce n’est pas le match qui se conclut sur un piteux 0-0 et qui fut je dois avouer d’un ennui complet. Non, ce qui m'a marqué avant tout, c'est la générosité dont ont fait preuve Michael et Juan Luis à mon égard, me faisant sentir comme un membre de leur famille alors que l’on se connaissait à peine. En arrivant aux abords du stade, Michael et Juan Luis se sont absentés quelques instants avant de revenir, sourire aux lèvres et avec une surprise pour moi : un maillot de l’Alianza Lima flambant neuf qu’ils venaient d’acheter à un vendeur de rue. Plus que le maillot en soi, ce qui m’a profondément touché, c’est de voir à quel point ils étaient heureux de me l’offrir. Ce geste a marqué mon entrée dans la grande famille aliancista.


Michael et Juan m’offrant le maillot de l’Alianza Lima.


L’expérience de Matute


L’avant-match


Pour de nombreux habitués, l’expérience du Matute englobe tout un ensemble de rituels aux alentours du stade qui débutent plusieurs heures avant le coup d’envoi et se poursuivent souvent bien après la fin du match, et ce quel que soit le résultat. Si l’équipe gagne, on reste pour célébrer avec l’ensemble des supporters blanquiazules et, si elle perd ou fait match nul, on reste également pour évacuer la frustration ou noyer sa peine dans l’ivresse.


Avec Michael, Juan Luis et leur bande, nous avons nos quartiers au niveau des casonas de la rue San Cristobal qui remonte jusqu’au stade. Les casonas sont de vieilles baraques qui proposent à boire (presque exclusivement de la bière) et à manger sur le pouce. Là, on achète des grandes bouteilles de bières et on se trouve un espace libre sur le trottoir pour s’installer, boire et discuter en attendant l’arrivée du reste de la troupe. Autour de nous, les groupes d’interconnaissances se forment et s’agrandissent au fur et à mesure qu’approche le coup d’envoi. Une marée bleue et blanche envahie progressivement la rue San Cristobal. À environ une heure du coup d’envoi, une fanfare débarque et galvanise la foule en entonnant les chants classiques du répertoire aliancista que reprennent à l’unisson l’ensemble des supporters.


Lorsqu’il ne reste plus que quelques minutes, on finit rapidement son verre de bière et on se dépêche de se rendre au niveau de la tribune Oriente de l’autre côté du stade où l’on a nos places assignées. On est tous plus ou moins soûls mais il faut s’efforcer de faire bonne figure pour passer les contrôles de police et ne pas se faire refuser l’accès dans l’enceinte du stade. Une fois à l’intérieur, l’excitation monte, on entend le public de Matute chanter et crier à pleins poumons en attendant l’entrée des « Intimes de La Victoria » [2].


Les supporters aliancistas chantant accompagnée d'une fanfare en amont de la rencontre.


Le stade


Le stade Alejandro Villanueva, appelé plus couramment Matute du nom du quartier du district de La Victoria dans lequel il se trouve, fut inauguré en 1974 et peut accueillir près de 30 000 spectateurs. L’un de ses traits caractéristiques, ce sont les fresques colorées qui recouvrent ses murs. Celles-ci représentent des symboles du club, le tout dans un dégradé de bleu, de blanc et de rouge, les couleurs caractéristiques de l’Alianza. C’est le collectif Todas Las Sangres (« tous sangs mêlés ») formé par des muralistes et des artistes fans de la blanquiazul qui veille à leur exécution et leur renouvellement régulier. Le stade est doté de quatre tribunes, Occident et Orient en long, Nord et Sud en largeur. La tribune Sud est la plus populaire car le prix des places y est moins cher. C’est également la tribune avec le plus d’ambiance car c’est là que le « Comando Svr » (prononcer « Comando Sur ») prend ses quartiers chaque jour de match pour mettre l’ambiance et que se cultive la « mystique traditionnelle aliancista » [3].


Le Comando Svr, c’est la barra brava de l’Alianza Lima, l’équivalent des groupes ultras dans les stades européens. Ce sont eux qui déploient le plus de ferveur pour encourager leur équipe. Emmené par le légendaire Rafael Arias dit « El Pato » et « Sandrito », son bombo iconique [4], le Comando Svr, situé au centre de la tribune, lance les chants et les accompagne avec ses trompettes et ses instruments de percussion aux sonorité afro-péruviennes pendant l’intégralité du match. L’influence de la culture afro-péruvienne dans le folklore et la culture populaire aliancista est un trait distinctif de l’identité blanquiazul qui contribue à faire de chaque match une véritable fête.


Les autres supporters aliancistas ne sont pas en reste et font aussi preuve d’un engouement remarquable pour galvaniser leur équipe tout au long des quatre-vingt-dix minutes peu importe l’issue du match comme le disent les paroles d’un chant aliancista : « même si tu perds, je continue de t'encourager, parce qu'en dépit de tout, je t'aime toujours » [5]. C’est comme si pour eux le fait de supporter était tout aussi important que les efforts des onze joueurs présents sur le terrain, comme s’ils se partageait le travail pour parvenir à un même objectif : obtenir la victoire finale.


L'ambiance de Matute un jour de match.


L’épopée victorieuse


On revient de loin


Cher Simon, je vais maintenant te raconter le parcours remarquable réalisé par l’Alianza Lima pour s’adjuger le titre de champion national en 2022.


Avant que je me rende au stade pour la première fois, l’Alianza sortait d’une défaite humiliante 2 à 0 contre l’ennemi historique, la U. La semaine qui suivit, l’Alianza ne put faire mieux qu’un médiocre match nul face à l’AD Cantolao pour ma première fois au stade. Le club était sur une série de trois matchs consécutifs sans victoires et pointait seulement à la cinquième place du classement à neuf journées de la fin du championnat. Cette situation préoccupante entraîna le limogeage de l’entraîneur Carlos Bustos qui fut alors remplacé par son assistant technique Guillermo « Chicho » Salas, ancien joueur de la formation blanquiazul avec laquelle il avait remporté plusieurs titres au début des années 2000. En dépit de son manque d’expérience comme entraîneur principal, il parvint à réinsuffler une dynamique positive au sein du groupe et remit l’équipe sur le chemin de la victoire, lui permettant de s’adjuger le championnat de clôture 2022 avec un petit point d’avance sur son concurrent direct. L’Alianza était ainsi assuré de disputer la grande finale nationale, et pouvait attendre sereinement l’issue de la demi-finale des plays-offs pour connaître l’identité de son adversaire.


C’est le FC Melgar qui obtint le privilège de défier l’Alianza lors de la grande finale de la Ligue 1 péruvienne. Ici, contrairement à ce qui est d’usage en Europe, les finales se déroulent selon le format aller-retour. Pour le compte du match aller, la formation blanquiazul s’est donc rendue en terres arequipeñas (de la ville d’Arequipa au sud-est du Pérou) pour défier les rouges et noirs (couleurs du Melgar). Malgré de franches occasions de buts, les Intimes de La Victoria n’ont jamais pu trouver la faille et c’est le Melgar qui s’est imposé 1 à 0 profitant du but contre son camp du défenseur aliancista Yordi Vilchez. La formation blanquiazul devait donc s’imposer avec une marge de deux buts pour renverser la situation, et comptait largement sur l’animation de Matute pour espérer faire la différence.


La grande finale


L'ambiance à Matute avant la finale.


Le samedi 12 novembre, Matute est rempli à craquer et bouillonne plusieurs heures avant le coup d’envoi prévu à 20h. Avec Juan Luis, Michael et toute notre bande, nous sommes sur place depuis 17h au niveau de la tribune Sud pour ce match décisif. Autour de moi, je sens la pression monter au fur et à mesure qu’approche l’heure de début, mais aussi l’enthousiasme et la ferveur dans les chants des supporters gonflés à bloc.


Vingt heures, début des « hostilités ». Les premières 45 minutes sont assez crispées de part et d’autre et aucune équipe ne parvient réellement à construire et développer son style de jeu. À l’approche de la pause, les tentatives aliancistas se font plus incisives et le Melgar ne peut faire autrement qu’accumuler les fautes, ce qui lui vaut trois cartons jaunes coup sur coup. La dernière de ces fautes procure aux locaux un coup franc dangereux à l’entrée de la surface. Le numéro 7, Pablo Lavandeira, se charge de le tirer et brosse le ballon directement sur la tête de son coéquipier Yordi Vilchez (l’auteur du but malheureux du match aller) qui l’effleure et trompe le gardien rouge et noir. GOOOOOOOL. 1-0 Alianza.


Matute explose !


Ses quatre tribunes s’embrasent d’un même mouvement. On exulte et on se prend dans les bras avec Michael et Juan Luis. Autour de nous, c’est l’effervescence totale, toute la tribune Sud est en liesse. Cette clameur collective dure de longues minutes. Le stade tout entier est euphorique.


Au retour des vestiaires, on sent déjà plus de sérénité dans les travées de Matute, mais les supporters blanquiazules ne comptent pas en rester là et continue de pousser leur équipe pour obtenir le deuxième but crucial. 74ème minute du match, l’Alianza réalise une incursion sur l’aile droite de la surface. Harley joue en retrait pour Gino Peruzzi qui délivre un centre précis au milieu de la surface adverse. Toujours à l’affût, le redoutable Pablo Lavandeira se précipite pour l’intercepter de la tête et met le ballon au fond des filets. GOOOOOOOL. 2-0 Alianza.


Matute explose à nouveau !


L’émotion est intacte si ce n’est plus intense encore. La victoire finale est de plus en plus proche. Mis à part une légère frayeur sur le but de Campos, le gardien aliancista, les rouges et noirs ne semblent plus réellement en mesure d’inquiéter les blanquiazules et leur disputer le sacre final. L’arbitre annonce 5 minutes de temps additionnel. Matute frémi d’impatience. L’atmosphère est irrespirable. Puis, vient le coup de sifflet final. Ça y est, on est champion ! Je te laisse deviner la suite…


Et oui, Matute explose encore !


Michael et Juan Luis se prenne dans les bras et pleurent tant l’émotion est forte pour eux. Les 30 000 spectateurs et peuvent enfin se libérer et relâcher toute la tension accumulée, le plus dur a été fait.


Place à la fête


Maintenant, que la fête commence ! Personne ne veut rentrer chez soi, tous les aliancistas veulent prolonger ce moment de communion exceptionnel. Les groupes d’interconnaissances se reforment et s’agrandissent toujours plus. L’heure est à l’ivresse. L’ivresse du bonheur, l’ivresse de l’alcool. Au bout d’un moment, nous allons rejoindre un ami de Juan Luis et Michael dans une rue adjacente où une enceinte diffuse de la musique qui alterne entre chants aliancistas, salsa et reggaeton. Tout le monde boit, danse, et profite intensément de ce moment privilégié. Je me sens complètement grisé de tant de joie, de fête et d’euphorie collective. À chaque fois que retentit un chant aliancista, je chante à tue-tête comme si j’avais fait cela toute ma vie. Pour la première fois, je sens que je suis un membre à part entière de cette grande fraternité.


Quand je reviens à mes esprits, il est quatre heures du matin et les rues se sont vidées. La soirée est passée comme un coup de vent, j’ai l’impression d’avoir rêvé. Je regarde Michael, Juan Luis et les autres survivants du groupe. Les visages fatigués en disent long sur la soirée que l’on vient de passer. Une chose est sûre, on a vraiment profité de ce moment comme il se devait !



Le groupe au complet célébrant le titre de champion.


Pour être tout à fait honnête, je n’avais aucune idée de là où je mettais les pieds avant de me rendre pour la première fois à Matute. À présent, je comprends mieux ce qui m’a conduit jusque-là.


Au fond de moi, je crois que j’étais à la recherche de ce sentiment intense qui émane des clubs dont l’histoire s’inscrit dans la résistance culturelle des classes populaires [6]. Sans m’en rendre compte, c’est ce sentiment puissant qui a fait de moi un fan inconditionnel de Liverpool quand j’étais plus jeune et qui aujourd’hui fait de moi un aliancista au plus profond de mon cœur !


Je souhaite que ce récit t’ait permis d’adopter un regard différent sur ce sport empreint de magie qu’est le football. J’espère que tu te portes bien dans ton refuge breton, et j’espère de tout mon cœur que tu viendras me rendre visite l’année prochaine, je serais tellement heureux de te montrer ce pays que j’aime tant et continuer à découvrir toutes les merveilles qu’il recueille avec toi.


Gabriel


P.S. Quand tu recevras cette lettre, nous serons surement en 2023. Ne t’étonne du décalage entre la date d’écriture et la date de réception, la Poste n’y est pour rien dans cette histoire. J’avais effectivement écrit cette lettre à la date indiquée en tête, le dimanche 19 décembre 2022, néanmoins, la vie à Lima m’a tellement absorbée que j’en ai oublié de la poster. Il a fallu que je me retrouve dans un petit village des Andes centrales pour enfin revenir à mes esprits. J’ai donc posté la lettre seulement le samedi 31 décembre 2022.


*Je remercie chaleureusement Juan Luis et Michael pour leur générosité, mais aussi l’ensemble de la bande blanquiazul qui m’a accueilli à bras ouvert. Je ne vais pas citer tous les noms car il y en beaucoup, certains que je ne connais pas ou que j’aurais peur d’oublier, mais je les porte tous dans mon cœur, c’est grâce à eux si cette expérience restera pour moi inoubliable. J’espère pouvoir continuer à partager des moments privilégiés avec eux au stade ou en dehors à l’avenir.


Annexe – Voyage au cœur de l’aliancismo


Qu’est-ce que l’aliancismo ? Vaste question. Un sentiment ? Une passion ? Une religion ? Un peu de tout à la fois je crois. Tout ce que je peux affirmer c’est qu’il y a quelque chose qui relève du mystique dans cette passion sans mesure pour l’Alianza Lima que réaffirment semaine après semaine les supporters blanquiazul. Une mystique dont les mots seuls ne pourraient révéler toute la signification. J’aimerais néanmoins livrer quelques éléments de contexte pour tenter de comprendre un peu mieux ce phénomène [7].


C’est en 1901 que commence l’histoire de l’Alianza Lima, lorsqu’un groupe d’adolescent pauvres et des classes moyennes du quartier de Cotabambas, vers le centre de Lima, décident de créer un club de quartier. Au tournant du XXe siècle, le football est alors une activité relativement nouvelle et encore réservée à une élite mais qui se diffuse rapidement à de nouveaux secteurs de la société liménienne. Durant ses premières années d’existence, L’Alianza n’est alors qu’un simple club de quartier parmi d’autres. C’est dans les années 1920-1930 que le club acquiert une grande popularité parmi les couches sociales les plus défavorisées de la capitale et tout particulièrement au sein de la communauté afro-péruvienne. Ce moment coïncide non seulement avec la délocalisation du club dans le quartier de La Victoria, légèrement au sud de Cotabambas, un quartier populaire largement « imaginé comme un quartier noir » [8], mais aussi avec les premiers succès du club qui obtient plusieurs titres de Première Division (1918, 1927, 1928, 1931, 1932, 1933) et dont les meilleurs joueurs sont alors tous afro-péruviens. Un autre élément fondateur de la formation de l’identité aliancista, c’est la rivalité avec los cremas (« les crèmes », appelés ainsi en raison de la couleur de leur maillot) du club Universitario de Deportes, plus communément appelé « la U ». À la fin des années 20, l’équipe crema identifiée aux étudiants des classes moyennes et privilégiées en vient à incarner une identité profondément antagonique à celle de l’Alianza. Les deux clubs se rencontrent pour la première fois le 23 septembre 1928, un match qui reste célèbre pour les violentes altercations qui éclatent entre joueurs et avec les supporters. C’est le premier d’une longue tradition d’affrontements qui sont connus jusqu’à aujourd’hui comme el clásico de los clásicos del fútbol peruano (« le classique des classiques du football péruvien »). Ces matchs étaient vus non seulement comme l’affrontement de communautés opposées, mais comme une opposition de style. Tandis que la U se caractérise par un jeu fondé sur la force et l’effort physique, les « grones » [9] se distinguent par un style de jeu qui laisse la part belle à la technique et à l’agilité, des valeurs grandement appréciées par la culture populaire de l’époque. Le joueur le plus emblématique de ce style de jeu criollo (« créole ») [10], c’est Alejandro Villanueva, qui a donné son nom au stade de l’Alianza. Surnommé « Manguera » (« tuyau d’arrosage ») en raison de sa grande taille (près de 1m95), il joue comme avant-centre pour l’Alianza Lima entre 1927 et 1943 et se convertit en une idole absolue pour les fans aliancistas en raison non seulement de son style de jeu virtuose (la légende dit qu’il serait le premier jour liménien à avoir inscrit un but en retourné acrobatique) que pour son efficacité redoutable devant le but. De nos jours, son souvenir persiste encore fortement dans la culture populaire aliancista.


En quoi, ce détour par les débuts de l’Alianza Lima permet-il de mieux comprendre ce qu’est l’aliancismo aujourd’hui ? Que reste-il aujourd’hui de cette identité initiale du club ? Certes, la base sociale des supporters aliancistas s’est considérablement élargie depuis les années de formation du club pour inclure des personnes de tous les secteurs de la société. Cela fait de Matute un espace social hétérogène et singulier où se mélangent des personnes de différents milieux, de différentes couleurs de peau sans distinction. Cependant, malgré ces évolutions contemporaines, je crois que certains traits de l’identité initiale du club persistent dans la mystique aliancista aujourd’hui. De la même manière que l’Alianza et ses joueurs afro-péruviens représentaient pour les premiers sympathisants du club dans leur grande majorité issues de secteurs opprimés de la société (la classe ouvrière et la communauté afro-péruvienne) un motif de fierté et la possibilité de renverser la hiérarchie sociale (au moins symboliquement), se perpétue aujourd’hui dans l’inconscient collectif aliancista cet espoir émancipateur. C’est cela je crois qui donne à l’aliancismo toute sa force, sa puissance et sa pureté. Dans l’aliancismo persiste l’idéal d’une société plus juste, plus égalitaire et qui semble pouvoir se réaliser à chaque but de l’Alianza. Que l’Alianza Lima soit aujourd’hui le club le plus populaire du Pérou, rassemblant des personnes de tous les coins du pays sans distinction, en dit long sur la puissance de ce sentiment fondateur de l’identité aliancista.


Pour aller plus loin…


Je recommande vivement le documentaire « Blanquiazul, el sentir de una nación » réalisé par Luis Alberto Castro Serrano en 2015, une plongée intime dans l’univers aliancista par ceux qui maintiennent cette passion vive au quotidien à travers tout le pays. Il est disponible gratuitement sur Youtube à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/watch?v=fb3WsZuyj7w


Pour ceux qui voudraient écouter les chants aliancistas dans leur version originale, ils sont tous disponibles sur Spotify dans la playlist « Alianza Lima – El Hincha Blanquiazul » : https://open.spotify.com/playlist/5bhGmXMNQRqrMxp32Tsdq0 Et pour ceux qui sont intéressés spécifiquement par les chants du Comando Svr, vous pouvez les écouter dans l’album « Comando Svr Vol. 1 » également disponible sur Spotify : https://open.spotify.com/album/7Go0KWaAVFbnd9LoYwGoRR


Notes de bas de page


1. Les termes empruntées à l’espagnol seront placées entre guillemets lors de leur première utilisation, puis, ils seront en italique pour chacune de leurs utilisations ultérieures.

2. Ce surnom remonte aux années de formation de l’Alianza et reflète l’esprit de famille qui régnait à cette époque au sein du club en raison notamment de son ancrage local dans le quartier populaire de La Victoria.

3. Panfichi, A. I. y Thieroldt, J. E. (2014). “Clubes y Barras: Alianza Lima y Universitario de Deportes”. Esporte e sociedade,ano 9 n°24, p. 10.

4. Le bombo ou grosse caisse est un instrument de percussion de diamètre large couramment utilisé dans les fanfares pour servir d’accompagnement rythmique.

5. En version originale : « aunque vayas perdiendo sigo alentando, porque a pesar de todo te sigo amando »

6. Pour mieux comprendre cet aspect, je renvoie à l’annexe « Voyage au cœur de l’aliancismo » un peu plus bas qui raconte brièvement l’histoire singulière du club et tente de donner quelques clés pour mieux comprendre le phénomène aliancista.

7. L’essentiel des informations incluses dans ce paragraphe sont tirées des articles suivants : Panfichi, Aldo. « Africania, barrios populares y cultura criolla a inicios del siglo XX » in Lo Africano en la cultura criolla, Lima: Fondo Editorial del Congreso del Perú, 2000 ; Álvarez, Gerardo. La difusión del fútbol en Lima. Tesis de Licenciatura en Historia. Lima: Universidad Nacional Mayor de San Marcos, 2001 ; Panfichi, Aldo y Jorge Thieroldt. “Clubes y Barras: Alianza Lima y Universitario de Deportes”. Esporte e sociedade. Niterói, ano 9, n. 24, 2014.

8. Panfichi, Aldo. « Africania, barrios populares y cultura criolla a inicios del siglo XX » in Lo Africano en la cultura criolla, Lima: Fondo Editorial del Congreso del Perú, 2000, p. 12.

9. negro à l’envers, surnom des joueurs de l’Alianza Lima qui remonte à ces années initiales et qui est resté aujourd’hui. Au Pérou, le terme n’est pas aussi chargé négativement

10. Au Pérou, ce terme a une connotation davantage culturelle qu’ethnique et se refère ainsi à la musique de la côte largement influencée par les rythmes et les sonorités afro-péruviennes ou encore à la cuisine typique de la côte qui donne la part belle aux produits de la mer

 
 
 

1 Comment


Stéphane Granado
Stéphane Granado
Dec 31, 2022

Gabriel, merci pour ce voyage footballistique et socio-culturel au sein de Alianza Lima; J'espère que tu vas bien. J'aimerais bien avoir ton éclairage sur la situation politique du Pérou. Je te souhaite une excellente année 2023 pleine de bonheur et de réussite dans tes projets. Bises fraternelles, ton vieux tonton barbu Stéphane si honoré d'être le cousin de ton illustre géniteur Olivier😜

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